Itinera Magica

Tout recommencer à Jersey

A Jersey sur les pas de Victor Hugo

Des petits mondes hors du monde, telles sont les îles, et Jersey ne fait pas exception. Ce n’est plus la France, ce n’est pas encore l’Angleterre, c’est un jardin sur la Manche, bruissant de légendes et de parfums. La vie est douce sur l’île anglo-normande, et les paysages apaisés. A quelques jets de pierre des côtes de Bretagne et Normandie, tout invite à une parenthèse insulaire fleurie.

Bienvenue à Jersey, jardin sur la manche, îlot de douceur…

 

Légendes et fantômes nimbés de fleurs.

J’aimerais, j’aimerais prendre la mer…

Je savais deux choses de Jersey. La première, c’était une chanson sortie il y a quelques années, et que j’avais écouté tout un été. Une chanson du groupe Granville, qui disait :

« J’aimerais, j’aimerais prendre la mer pour mon Hawaï à moi
Mon Hawaï à moi
Cette île, cette île que j’aperçois
De la plage de Granville
Tout oublier, laisser le vent souffler et
Tout recommencer à Jersey…
Tout recommencer à Jersey…
J’aimerais, j’aimerais prendre la mer pour mon Hawaï à moi
J’aimerais, j’aimerais prendre le temps de t’emmener avec moi
Cette île, cette île, que je touche du doigt
Tout recommencer à Jersey…
Tout recommencer à Jersey… »

Je suis toujours toute ouïe quand on me promet des îles, et je m’étais dit que moi aussi, j’irais un jour prendre la mer pour Jersey.

Marcher sur l’eau à Jersey… Les marées sont immenses, l’estran fait plusieurs centaines de mètres, et les entre-deux sculptent des visions étranges, comme ces gens qui semblent marcher sur l’eau.

Je me suis embarquée sur un ferry de Condor Ferries depuis Saint Malo, et en à peine plus d’une heure, j’étais ailleurs. C’est ce qui m’a le plus marquée à Jersey : la profusion de fleurs, de prairies, de forêts. Nous sommes bien au large de la Normandie, mais baignés par le Gulf Stream, et le climat est doux, la végétation surprenante. J’ai vu à Jersey partout d’étranges palmiers que j’aurais attribué à des latitudes autrement méridionales, et je me suis dit que les musiciens n’avaient pas tort : Jersey, l’Hawaï de la Manche, pourquoi pas ?

Etrange et luxuriante Jersey, remplie de palmiers en pleine Manche et illuminée par le printemps.

Victor Hugo à Jersey et les casse-têtes de la prononciation

La deuxième chose que je savais de Jersey, c’est que Victor Hugo y avait débuté son long exil politique. Il avait passé quelques temps seul sur un rocher à insulter l’océan, Napoléon et les mouettes, avant d’avoir la mauvaise idée d’étendre le spectre de sa contestation à la personne de la Reine d’Angleterre, et d’être viré de l’île comme un malpropre. Il a eu le temps d’y écrire des textes sublimes, rassemblés dans un recueil posthume qu’on appelle L’Archipel de la Manche. Si vous avez lu mon article sur Cabourg et Honfleur, vous savez à quel point j’aime Victor Hugo. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer ce qu’il écrit des îles.

« Les îles de la Manche sont des morceaux de France tombés dans la mer et ramassés par l’Angleterre. De là une nationalité complexe. Les Jersiais et les Guernesiais ne sont certainement pas anglais sans le vouloir, mais ils sont français sans le savoir. S’ils le savent, ils tiennent à l’oublier. »

Ce n’est pas le rocher de Victor Hugo, mais ça y ressemble. Je l’imagine bien insulter Napoléon au milieu des vagues.

Victor Hugo n’a pas tort : Jersey est un monde étrange. L’île produit son propre passeport et sa propre monnaie, mais ses habitants sont sujets de la couronne anglaise ; on peut utiliser indifféremment la livre de Jersey, ou la livre anglaise. On roule à gauche, on parle anglais, les prises sont anglaises (ne faites pas comme moi, pensez à votre adaptateur !), et si les restaurants sont délicieux, les boulangeries sont passés du côté obscur de la Manche et vendent des trucs improbables que seuls un palais britannique est capable de tolérer, comme le croissant chaud aux navets. (Heureusement, un goéland a eu la bonne idée de m’arracher mon croissant aux navets des mains en pleine rue de Saint Hélier, me sauvant de ma culpabilité à gâcher de la nourriture. Comme vous le savez si vous avez lu mon article de blog sur La Jolla, les goélands et moi, on a un passé.)

Chemins fleuris de la baie de Saint Ouen.

Bref, on se sent presque déjà en Angleterre… mais tous les noms des villes et villages sont français. Prononcés à l’anglaise. Ce qui fait qu’aucun Français ne saura jamais les prononcer correctement, et que comprendre le nom des lieux quand un local les énonce est un casse-tête sans nom, car même si votre anglais a dépassé le stade de « Brian is in the kitchen », vous n’êtes JAMAIS préparé aux prononciations locales de Jersey. Essayez d’imaginer comment un Anglais prononcerait « Saint Brelade » ou « Saint Ouen », tombez à côté de la plaque, recommencez. C’est une marelle linguistique permanente qui rend Jersey très sympathique.

La vie à Jersey : paisible, prospère, entre deux mondes. Le monde de la banque et de la finance procure un haut niveau de vie aux Jerriais ; la vie est douce là-bas.

Il paraît que les plus âgés continuent de parler un dialecte normand : le Jerriais. Cette connexion à la France, perdue dans la nuit des temps, perdure au goutte à goutte chez les amoureux du patois. Si vous voulez vous faire une idée de cette langue à la fois familière et déroutante, j’ai découvert ce site, l’Office du Jerriais, où vous pourrez vous faire une idée. Extrait : « Nou peut l’faithe sèrvi siez nous; dans bein des fanmil’yes les mousses vont ès clâsses du Jèrriais dans lus êcoles, mais nou peut c’menchi à apprendre bein pus jannes – et nou n’est janmais trop vièrs pouor apprendre nitout! » Qui a créé cette bizarrerie culturelle et géographique ? L’océan lui-même.

Le Jerriais donne une touche d’authenticité aux produits : ici le Cidre dé Jèrri, célèbre cidre de Jersey.

Les caprices de l’océan

Victor Hugo raconte qu’en l’an 709, un gigantesque coup de mer a arraché Jersey à la France, et jeté dans la Manche. Il faut imaginer la force des tempêtes des âges obscurs, avant les digues, les canaux, les dragues, il faut imaginer l’époque où la mer en colère pouvait redessiner les cartes du monde.

« On nomme volontiers ces îles en France îles anglaises et en Angleterre îles normandes. Les îles de la Manche battent monnaie ; de cuivre seulement. Une voie romaine, encore visible, menait de Coutances à Jersey.
C’est en 709, nous l’avons dit, que l’océan a arraché Jersey à la France. Douze paroisses furent englouties. Des familles actuellement vivantes en Normandie ont encore la seigneurie de ces paroisses ; leur droit divin est sous l’eau ; cela arrive aux droits divins. »

L’océan à Jersey est spectaculaire : quand la marée se retire dans la baie de l’Elizabeth Castle, de gigantesques piscines jusqu’alors submergées réapparaissent. Les marées de Jersey sont épiques, comme au Mont Saint Michel.

 

La marée basse révèle un chaos de rochers pointus – on comprend pourquoi tant de navires ont fait naufrage à Jersey.

Victor Hugo disait encore que les îles anglo-normandes sont « l’archipel du vent », qui « chasse les miasmes et apporte les naufrages ». Malgré toute la beauté verdoyante de cette île riche et heureuse, il y a à Jersey un air gothique qui me plaît bien, une allure d’ancien repaire de pirates, de petit bout du monde, hanté par des naufrages sanglants et des légendes lugubres.

L’îlot de Portelet Bay à l’histoire lugubre.

Je n’ai passé que vingt-quatre heures à Jersey, et je me garderais bien de vous proposer un guide de cette île dont je n’ai découvert qu’un petit morceau. Mais voici une succession de cartes postales, d’endroits qui m’ont touchée.

Portelet Bay

C’est un endroit un peu reculé et secret que j’ai découvert grâce à Rebecca, de Visit Jersey, qui a eu la gentillesse de partager avec moi son lieu fétiche. C’est mon plus beau souvenir de Jersey : arriver sur l’île au coucher du soleil et découvrir cette baie sauvage, accessible par de longs escaliers tortueux au milieu des sables et des buissons fleuris. Au large, sur un îlot, se dresse une tour menaçante : ce fut la demeure et la tombe d’un marin à qui on interdit de poser le pied sur Jersey, craignant qu’il apporte la peste.
Au fond, on trouve une maison comme on en voit que dans les films, biscornue, moussue et surmontée d’une cheminée qui respire un mince filet de fumée. C’est l’auberge Portelet Bay’s Inn, et j’y ai mangé la deuxième meilleure pizza de ma vie (la meilleure fut à Naples, à tout Seigneur tout honneur). Voilà pour me rattraper d’avoir critiqué le goût britannique en matière de croissants aux navets : je vous recommande très vivement cette adresse, et leurs pizzas originales et succulentes.

Portelet Bay au crépuscule

 

Portelet Bay’s Inn

 

La plage de Saint Brelade

Une grande plage claire, où le grand jour dessine une eau turquoise, et le couchant des reflets rosés sur le sable. C’est sans aucun doute une des plus belles de Jersey, et j’irais bien m’y baigner l’été, si je n’étais pas horriblement frileuse.

La plage de Saint Brelade vue depuis mon hôtel, Golden Sands Hotel

Le cimetière de Saint Brelade

C’est un des plus beaux, des plus romantiques que je connaisse. J’ai adoré ce cimetière marin planté de cerisiers et couvert de mousses. Comme dirait une amie à moi : « c’est tellement joli que ça donne presque envie de mourir ». (Presque, hein.)

La mer a effacé les noms…

 

Cimetière marin gothique

 

Allées plantées de cerisiers…

Le phare de la Corbière

Sans doute l’endroit le plus pittoresque de l’île : un phare qui se trouve complètement coupé du continent à marée haute, et vers qui la marée basse dénude un chemin magnifique, un chaos de rochers biscornus que les algues qui les recouvrent rendent plus étrange encore. C’est un de mes coups de cœur à Jersey. Je l’ai d’abord vu à marée haute, solitaire et inaccessible, et j’ai pu l’atteindre en fin de journée, avec l’impression de cheminer vers l’Atlantide – c’était encore plus beau. Surveillez les horaires des marées, essayez de guetter le moment où la mer vous révèle ses secrets.

A marée haute…

 

… et à marée basse.

 

Vision fantastique du phare qui émerge des eaux

 

Le chemin dénudé

 

Un rayon de soleil révèle la vivacité des couleurs

La baie de Saint Ouen

Juste au nord du phare de la Corbière, un immense paysage de dunes et d’herbes folles révèle un visage plus sauvage de Jersey. J’ai beaucoup aimé ces visions qui évoquent un film de pirates.

Dunes et herbes folles

 

Fortifications hantées…

Saint Aubin

Ce petit village m’a fascinée pour une raison étrange : lorsque la marée descend, le port se retrouve intégralement à sec, et les bateaux reposent sur un berceau de varech séché. C’est une vision tellement surprenante que j’ai cru (je vous l’avoue) pendant un instant qu’un tsunami monstrueux allait déferler sur Jersey, et que toute la mer s’en était allée pour nous prévenir.  Voyant mon expression terrifiée, les habitants de Saint Aubin m’ont rassurée : c’est normal, ça arrive tous les jours. J’aurais dû me dire, aussi, qu’en l’imminence d’un tsunami les habitants de Saint Aubin auraient cessé d’acheter tranquillou du cidre et du boudin, mais que voulez-vous, je pensais que c’était le légendaire flegme britannique. (C’était la sudiste qui découvre le concept des marées.

Ohé ohé, capitaine abandonné… (oui, en plus je suis restée coincée aux années 80)

A Saint Aubin, j’ai mangé au Deli La belle gourmande, et c’était absolument délicieux – j’ai choisi une spécialité végétarienne, fraîche et exquise, et j’accorde une mention spéciale au gâteau au chocolat, que je me suis accordé pour me remettre de l’alerte tsunami, vous voyez.

 

La Belle gourmande à St Aubin

Elizabeth Castle

C’est la première chose que vous verrez en arrivant de Saint Malo, et la dernière à s’effacer dans le soleil couchant quand vous quitterez l’île : ce majestueux fort se dresse au milieu des eaux et vous rappelle combien Jersey est belle et romanesque.
Et qu’il faudra revenir.

Quitter Jersey, hélas…

Un petit conseil pratique : Si vous pouvez louer une voiture, je vous recommande vivement de le faire. Vous profiterez mieux de votre découverte de l’île.

Epinglez moi !

 

Un grand merci à Condor Ferries et à Visit Jersey, et tout particulièrement à Rebecca, de m’avoir permis de découvrir cette île qui me trottait dans un coin de la tête depuis longtemps. Jersey est magnifique. Oui, on pourrait « tout recommencer à Jersey »…

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