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3 septembre 2021    /    

La Routo, un GR au cœur du pastoralisme en Provence-

La Routo ? C’est un nouvel itinéraire de grande randonnée, le GR69, qui suit les chemins ancestraux de la transhumance depuis les plaines de la Crau jusqu’aux Alpes italiennes. Sur 520 kilomètres, d’Arles à Cuneo, le marcheur met ses pas dans les pas des bergers qui « faisaient la route » avec leurs moutons blancs par milliers. Les montagnes vivent des hommes qui les arpentent, et les paysages de la Haute Provence ont été dessinés par le sillon patient des bergers et de leurs bêtes franchissant les cols en quête de pâturages plus amènes.

Ce nouvel itinéraire de grande randonnée plonge donc au cœur d’une des plus anciennes traditions alpines : la transhumance. Pays de pastoralisme, les Alpes du Sud voient depuis des siècles les troupeaux monter l’été sur les verts pâturages d’altitude. Dans les cabanes d’alpage, les bergers et leurs chiens veillent sur les troupeaux qui broutent l’herbe grasse des estives. Le GR69, la Routo, propose de suivre les traces des brebis, franchissant les crêtes à la recherche des prairies.
Cet été, nous avons emprunté sur deux jours une très belle portion de la Routo dans les Alpes de Haute Provence, ce qui fut l’occasion d’un voyage historique, culturel et patrimonial à la rencontre de cette civilisation pastorale qui a sculpté la Haute Provence. Une randonnée sur la Routo avec un bivouac au Pic de Bernardez, des rencontres avec des bergers autour de Colmars-les-Alpes et de Seyne-les-Alpes, tel fut notre beau programme d’immersion dans l’univers de la Routo.

Jean Marc Isoard, berger à la cabane des Mulets
Moutons en transhumance au-dessus de Colmars-les-Alpes
Coucher de soleil en bivouac sur le GR69, au pic de Bernardez

J’ai réalisé ce reportage en duo avec mon amie photographe Marion Carcel alias Foehn Photographie. La majorité des photos de cet article sont les siennes.

Marion et moi en bivouac au pied du pic de Bernardez
Marion photographiant le coucher de soleil sur le GR69

La Provence, terre de pastoralisme

Jean Giono écrivait :

« Quand les mystères sont très malins, ils se cachent dans la lumière. La Provence dissimule ses mystères derrière leur évidence. »

Il y a en Provence cette évidence de la lumière, de la minéralité, de la beauté – terre de roches blanches et de soleil qui abonde, promesse éternelle du midi. Mais la Provence, en vérité, est une construction patiente, le travail long et acharné de ces paysans, ces bergers, ces hommes et ces femmes qui ont construit ce pays en usant leurs sabots et ceux de leurs troupeaux.

La cabane des Mulets au-dessus de Seyne-les-Alpes
Cairn sur la Routo

Dans ce pays d’eau rare et de terres arides, le paysan guette les meilleurs pâturages pour y mener son troupeau, et il a besoin de ces deux mondes qui se complètent : la plaine douce et amène, où les bêtes passeront l’hiver, mais que l’été grille, et la montagne, hostile l’hiver, mais terre de vertes et grasses prairies quand l’été brûle les basses altitudes. Pendant des siècles, les paysans de Provence ont cheminé avec leurs bêtes, les menant sur les hauteurs pour la saison estivale, les ramenant en plaine quand l’automne souffle son haleine froide sur les cimes. C’est ce qu’on nomme la transhumance, ce mouvement des troupeaux, deux fois par an, qui a scandé les saisons durant des siècles en Provence.

Transhumance

Je laisse la parole à la spécialiste du pastoralisme Sandrine Krikorian, que j’avais interviewée pour mon livre « Provence, Les sillons du soleil » et que j’avais rencontrée dans la plaine de la Crau, là où commence la Routo.

« Nous sommes ici dans la Crau. C’est une plaine immense d’herbe sèche, une steppe européenne présentant une végétation qui n’existe nulle part ailleurs. Les auteurs anciens la décrivaient comme un désert, avec son paysage monotone à perte de vue, mais ce fut pendant des siècles une des régions agricoles les plus emblématiques de la Provence. On a retrouvé les traces de bergeries datant de l’époque romaine. L’élevage ovin fut pratiquement la seule source de subsistance des populations pendant des générations, et le ciment de l’identité culturelle. Le symbole de Saint Martin de Crau est un mouton, et sa devise, « In pascuis fortuna », la fortune est dans les pâturages. La vie était rythmée par les grandes transhumances, durant lesquelles on conduisait les troupeaux sur les estives au printemps, et les en ramenait à l’automne. A Noël, on célébrait le pastrage : les bergers conduisaient leurs troupeaux à l’église et venaient adorer l’enfant Jésus.
 […] Notre appréhension du pastoralisme s’est toujours construite dans sa représentation : c’est le XIXe siècle qui invente véritablement l’image du berger, avec les récits de Daudet et de Mistral, et les images des peintres provençaux comme Théodore Jourdan, qui peint inlassablement les troupeaux de moutons et leurs bergers. Songez aux grandes transhumances qui ont été organisées à travers toute la Provence en 2013, lorsque Marseille a été capitale européenne de la culture. Il fallait rendre à nouveau visible ce qui sous-tend cette identité provençale. »

Sandrine Krikorian, in Ariane Fornia, “Provence, Les sillons du soleil”, Nevicata, 2019
Le moulin d’Alphonse Daudet dans les Alpilles
Les sommets de la Haute Provence à Seyne-les-Alpes sur le GR69

La Routo ou le GR 69, un nouveau sentier de grande randonnée

Au cœur de l’identité du pays, il y a ce trait d’union vivant entre les plaines touffues des rivages méditerranéens et les sommets escarpés des Alpes, ce long cheminement des moutons cousant de leur fil blanc laineux l’âme de la Provence.

Cela fait des années maintenant que les gens de Provence cherchent à sauvegarder, préserver, célébrer ces traditions pastorales qui furent réellement l’âme du pays. L’inauguration de la Routo, ce nouveau sentier (GR69) qui relie et complète des chemins de randonnée existants pour former le trait d’union entre la Crau et les Alpes italiennes, s’inscrit dans ce mouvement. Le GR69 peut être entièrement parcouru à pied, mais certaines portions se réalisent également à cheval, à vélo, à VTT, et le tracé me semble superbe et varié, des plaines fleuries aux sommets abrupts.

Sur le chemin, de nombreuses stations célèbrent cet héritage paysan pluriséculaire. Car le patrimoine pastoral de Haute Provence est bien vivant – nous nous en sommes aperçu dès notre premier jour de reportage.

Une rencontre avec les bergers des Alpilles à Colmars-les-Alpes

Nous sommes fin juin en Haute-Provence, à Colmars-les-Alpes, sublime village fortifié au cœur des plus hauts sommets de la région, dont je ne manquerai pas de vous reparler. Nous sommes venues découvrir un site naturel superbe, les vasques de la Lance, une série de cascades féeriques. Mais sur la route qui nous mène au départ de la randonnée, nous les rencontrons : les moutons, les centaines de moutons.

Aujourd’hui, les temps ont heureusement changé, et les bergers que nous rencontrons n’ont pas fait à pied toute la route traversant la Provence, un camion les y a aidés. Mais comme autrefois, les éleveurs que nous rencontrons viennent des Alpilles, cette sublime région de calcaire blanc et de tournesols chantée par Van Gogh et Daudet.

Eygalières, dans les Alpilles
Les Baux de Provence, dans les Alpilles

Comme autrefois, ils viennent sur les sommets du Haut-Verdon offrir à leurs bêtes la fraîcheur de la montagne et des estives verdoyantes. Les derniers kilomètres se font à pied.
Les bergers qui resteront tout l’été aux côtés des troupeaux sont flanqués de deux types de chiens, les chiens de troupeau, de style border collie, qui guident et rassemblent les bêtes, et les chiens de protection, les patous, ayant pour mission de protéger les moutons du loup revenu dans les alpages. Durant tout l’été, les bergers veilleront sur les brebis nuit et jour, avec leurs chiens, leurs clôtures nocturnes, leurs patrouilles constantes, pour que les ovins broutent en paix.
Nous vivons un beau moment de rencontre avec ces éleveurs et bergers venus d’Eygalières, mon village préféré des Alpilles, venus se réfugier da la fournaise de l’été dans les hauteurs fraîches du Haut-Verdon.


Après avoir admiré cette belle agitation rythmée par bêlements et tintements, il est temps de nous mettre en route à notre tour.

Un bivouac au pic de Bernardez sur la Routo

Nous n’avons ni brebis ni chien, mais des images plein la tête. C’est notre tour de nous mettre en route sur la Routo.

Nous sommes à Seyne-les-Alpes, dans la vallée de la Blanche. Notre itinéraire va nous conduire au sommet du Pic de Bernardez (2430m), une des difficultés abruptes et ardues que les bergers devaient vaincre pour gagner les verts pâturages : après les pierriers, les sentes raides et les falaises vertigineuses, le chemin rejoindra de doux alpages où les sources abondent. Nous suivons les marques rouges et blanches le long de cet itinéraire alliant passion outdoor et histoire patrimoniale et humaine très forte Ici, la montagne a le visage des bergers, et ces sentes escarpées puis fleuries qui ont la beauté de l’intemporalité.

Faire à notre tour la Routo…

En montant vers le pic de Bernardez, les chemins sont tout d’abord minéraux, abrupts et vertigineux. Il faut franchir ces murailles pour gagner la douceur des estives…

Marcher sur un morceau de ce nouveau GR alpin, provençal et patrimonial, c’est s’inscrire dans une longue histoire humaine… et les sources sont ici répit ancestral.

Nous montons jusqu’à la croix, au sommet du Pic de Bernardez, et nous contemplons les montagnes de Haute-Provence baignées de lumière…

Puis en contrebas du pic, c’est la descente vers les estives plus amènes, vers un paysage d’herbe tendre et de lacs au loin, et on imagine la joie des troupeaux et de leurs bergers franchissant le col et descendant des hauteurs rocheuses vers cette douceur bucolique.

Au pied du pic, dans une prairie tendre, nous montons la tente pour la nuit. C’estl’heure du bivouac.

GR69 la routo

Il y a tout pile trois ans, j’avais vécu avec Marion mon tout premier bivouac, face au Mont Aiguille dans le Vercors. Une expérience magique qui m’a donné à vie la passion des levers et des couchers de soleil au sommet des montagnes, seules face à la beauté immense du monde. Nous avons souvent bivouaqué depuis, dans nos Alpes ou ailleurs parfois. Cette fois, nous avons posé notre tente au pied du pic de Bernardez, dans une prairie où jouaient des dizaines de marmottes curieuses de nous découvrir. Le coucher de soleil sur les Alpes de Haute Provence était grandiose. Encore une fois, l’enchantement a eu lieu, la magie de la montagne a opéré, et on a ressenti toutes les deux ce sentiment d’évidence : on était exactement là où on avait envie d’être. Puissance éternelle des Alpes…

GR69 la routo
GR69 la routo
GR69 la routo
GR69 la routo
Le soir sur les Alpes de Haute Provence.

Au matin, un coucher de lune salue notre réveil à l’aube.

GR69 la routo

Puis le lever de soleil se fait radieux et la lumière baigne la montagne.

la routo GR69
la routo GR69

Dans le jour éclatant, nous redescendons vers les lacs et les cabanes estivales des bergers, jusqu’à retrouver la forêt…

la routo GR69
la routo GR69
la routo GR69

Rencontre avec le berger Jean-Marc Isoard

Marion et moi reprenons la voiture et montons par une piste complètement défoncée (merci le 4×4 !) jusqu’à la Cabane des Mulets. Dès notre arrivée, la beauté idyllique du lieu nous frappe : au pied de la cabane perdue au beau milieu de la montagne, une rivière claire et fraîche coule des sommets, ruisselle sur les rochers et abreuve des rivages fleuris.

C’est ici que le berger Jean-Marc Isoard passe chaque été depuis 35 ans, dans la cabane aux volets bleus au bord du torrent, à veiller sur les bêtes.

Jean-Marc nous frappe par le caractère intact de sa passion de la montagne. Il aime ce métier, cela se sent. Il aime cette vie solitaire et solaire au plus près des sommets, dans le contact permanent des bêtes. Cela fait 35 ans qu’il passe l’été ici, l’automne en Crau, 35 ans qu’il garde les troupeaux et arpente chaque recoin de cette région, et l’émerveillement est toujours aussi fort dans son regard. Il est installé dans cette cabane assez chiche, où l’aménagement semble dater d’un autre temps, qui pourrait presque être celui de Daudet, mais le seul objet ultra high tech qui l’agrémente, c’est une lunette ultra puissante avec laquelle il scrute les pentes herbeuses. « Dès que j’ai une minute de libre, je cherche les bouquetins. » A la lunette, il nous montre les compagnons cornus de ses troupeaux, les gros bouquetins à l’assaut des pentes raides, les oiseaux, les renards, et toute la faune des cimes.

Le loup ? Lui qui garde des troupeaux de bovins n’en souffre pas tant. Ce sont les éleveurs ovins qui sont en première ligne, d’autant que les loups sont particulièrement abondants dans les Alpes du Sud, tout près de l’Italie d’où ils sont revenus dans nos contrées.
Mais Jean-Marc nous raconte les tensions que provoquent les patous, les chiens de protection des troupeaux. « Les gens ne connaissent pas toujours les chiens, et ils ont de mauvaises réactions. Le chien fait son travail, il protège le troupeau, il aboie et vous dissuade d’approcher. Mais au lieu de s’éloigner et de contourner le troupeau, certaines personnes vont frapper le chien avec un bâton, ou utiliser une bombe au poivre… Le chien devient fou. On se retrouve avec des morsures et des procès ». Je sais qu’il a raison : les affaires de touristes mordus par des patous font régulièrement les gros titres, et sont un problème épineux à l’heure du retour du loup, où il est si difficile de concilier protection des troupeaux et usage touristique de la montagne par les randonneurs ! L’occasion de rappeler des règles de bonne conduite fondamentales en présence de troupeaux : pour éviter tout ennui, il nous faut tenir nos chiens en laisse, contourner les troupeaux de loin et respecter les manœuvres d’intimidation d’un patou qui aboie en n’allant pas plus loin…

Pour concilier troupeaux et touristes, randonneurs et bergers, des règles élémentaires à adopter face aux chiens de protection : contourner le troupeau, descendre de son vélo, réagir avec calme et mesure, ne pas provoquer le chien, tenir le sien en laisse…

S’il est intemporel, le métier de berger est plus que jamais d’actualité : alors que les grands prédateurs (loups dans les Alpes et ours dans les Pyrénées) reviennent dans nos montagnes, il nous faut des bergers attentifs et présents, à même de protéger les troupeaux jours et nuit des dangers… et des éleveurs qui puissent les rémunérer correctement. Jean-Marc nous raconte travailler depuis des décennies avec les mêmes éleveurs, et être satisfait de ses conditions de rémunération et de vie, malgré l’aménagement un peu rock’n’roll de cette cabane surannée. On sent chez lui une âme éprise de grands espaces et de liberté, que peu de confort satisfait. La beauté inouïe du cadre compense le caractère frugal de la cabane. Il nous montre les lits qu’il a aménagés pour les jours où ses enfants et petits-enfants lui rendent visite dans sa montagne magique, les bricolages ingénieux et les souvenirs amassés. C’est la magie des Alpes : leur splendeur et leur intemporalité vous dédommagent des désagréments du froid, de la frugalité et du combat permanent avec les éléments. Au cœur de l’été dans les Alpes de Haute Provence, quand le soleil du midi frappe les pentes colorées, on en oublierait presque la dureté du métier de berger et on se surprend à rêver de rester à ses côtés pour voir le soleil se lever sur les sommets…

Nous revenons de notre incursion sur la Routo comme d’un long voyage à travers le temps, fatiguées et émerveillées, heureuses de cette expérience empreinte d’une profonde authenticité. Et vous ? Prendrez vous le chemin des transhumances sur le GR69 ?

Merci aux Alpes de Haute Provence et à tous les organismes partenaires du projet pour ce beau reportage fort en émotions.

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