Les pèlerinages aux Saintes Maries de la Mer : Gitans et Provençaux-
C’est un des plus beaux pèlerinages de France : celui qui
a lieu au mois de mai aux Saintes Maries de la Mer, en Camargue. Des milliers
de gens du voyage venus des quatre coins de l’Europe, des roulottes, des
Arlésiennes, des chevaux, des taureaux, une barque portée à la mer au milieu
des chevaux blancs et des tridents brandis… ce pèlerinage empli de ferveur
populaire ne ressemble à aucun autre.
A la fin du mois de mai, la communauté des gens de voyage vient honorer Sainte
Sara lors du « pèlerinage des Gitans », et le lendemain, ce sont les Provençaux
qui rendent hommage aux saintes Marie Salomé et Marie Jacobé. Mi-octobre, le
même pèlerinage se reproduit, mais cette fois avec les Provençaux seulement. Grande
amoureuse de la Camargue et cœur catholique, je participe chaque année à l’un
des deux pèlerinages au moins, celui de mai (le plus populaire et le plus démesuré,
avec la présence des Gitans venus de partout) ou celui d’octobre (plus
provençal, plus intimiste). Et j’ai eu envie de partager avec vous quelques
images de ce moment hors-normes.
Une brève histoire religieuse des Saintes Maries de la Mer
Les Saintes Maries de la Mer, capitale de la Camargue, sont un lieu hors du temps et loin du monde, une petite Atlantide provençale. Nous sommes tout au bout du delta de Camargue, cernés par les eaux entre les deux bras du Rhône, au pied de la sublime église-forteresse médiévale Notre Dame de Camargue dont les tours crénelées s’élèvent au-dessus de l’immensité marécageuse et attrapent tous les rayons du couchant. Dans ce pays immense et plat, ce bout du monde cousu de marais, de salins et de sansouïres, la tour du clocher est le seul relief, le point de convergence naturel qui aimante les cœurs.
Les Saints de Provence : des rives de Camargue à la Sainte Baume
L’église Notre Dame de la Mer joue un rôle fondamental dans la chrétienté provençale, car elle est au cœur de ce qu’on nomme « le cycle des saints de Provence ». Selon la tradition du pays, plusieurs proches du Christ ont fuit la Terre Sainte après la crucifixion de Jésus sous la menace de Ponce Pilate, et rejoint la Provence. Les parentes du Christ, Marie Salomé et Marie Jacobé, ont fuit la Galilée sur une barque sans rames et sans voiles, menées à bon port à travers la Méditerranée par la puissance de la foi. Sur cette rive qu’on nomme aujourd’hui Saintes Maries de la Mer, elles trouvèrent une source d’eau douce, et fondèrent la première église des Gaules autour de ce puits. Les Saintes furent donc la « porte de la foi », le premier foyer d’évangélisation. Selon la tradition, les autres saints à avoir trouvé refuge en terre provençale furent Marthe, qui chassa la tarasque (un dragon sorti des profondeurs fangeuses du Rhône) de Tarascon, Lazare, qu’on honore à Marseille, et la magnifique Marie-Madeleine, première témoin de la résurrection de Jésus, qui finit sa vie dans une grotte sur la montagne de la Sainte-Baume et qu’on honore le 15 août en pèlerinage.
La tradition des pèlerinages aux Saintes Maries
La tradition des Saints de Provence fut réellement renforcée par le « bon Roi René », le plus célèbre des Rois provençaux, au XIVe siècle. Il ordonna des fouilles sous l’église des Saintes et découvrit les corps de deux femmes, reposant sur un étrange bloc de marbre qui est aujourd’hui incrusté dans un pilier de la nef et qu’on nomme « l’oreiller des Saintes ». Les reliques furent placées dans des châsses conservées dans la chapelle haute, et le pèlerinage fut institué.
Le grand historien de la Provence antique Jean Guyon, que j’ai interrogé pour mon essai Provence, Les sillons du soleil, m’a dit la chose suivante : « Je suis navré de dire que les légendes des saints de Provence n’ont pas de fondement historique, bien que je comprenne, en tant que Provençal, qu’on puisse être attaché à cette tradition. Car comme le disait un dominicain chargé de l’accueil à la Sainte-Baume : « je ne sais pas si Marie-Madeleine est venue ici, mais je sais qu’elle y est », tant sont nombreux ceux qui y ont trouvé et trouvent encore réconfort en y faisant mémoire de celle qui fut « l’apôtre des apôtres » ».
Je me joins à ce moine très sage : je ne sais pas si les Saintes Maries sont venues, mais dans la ferveur sublime de ces pèlerinages où la foi palpite, je ressens leur présence.
Sara, la Vierge noire, patronne des Gitans
Au début du XXe siècle, une autre figure est venue se joindre à celle des Saintes Maries : celle de Sara, la Vierge noire, dite aussi Sara-la-Kali. La tradition la décrivait comme la servante des deux Maries. Lorsque le roi René fit exhumer les ossements des Saintes, on trouva ce 3e squelette de femme, qui fut considéré comme de dignité inférieure et placé dans une simple caisse en bois. Mais pour les Gitans, il ne s’agissait pas d’une simple servante, mais d’une princesse éthiopienne fuyant les persécutions en se joignant aux deux Maries sur leur barque sans rames. La communauté des Gitans la reconnut comme leur sainte patronne et se mit à venir aux Saintes la vénérer. Le marquis de Baroncelli, père des traditions de Camargue, oeuvra beaucoup pour l’institution de ce pèlerinage, et on célèbre désormais Sara le 25 mai.
Le pèlerinage des Gitans à Sainte Sara
Mi-mai, les gens du voyage de toute l’Europe accourent aux Saintes Maries pour une rencontre annuelle exceptionnelle, le seul moment où l’ensemble de la communauté est réunie. On y célèbre les mariages, les baptêmes des enfants, on pleure les morts et fête en musique le bonheur de se retrouver. Pendant deux semaines, un flot de caravanes et de quelques roulottes anciennes investit le petit village des Saintes, et l’ambiance est indescriptible, une magnifique cour des miracles provençale. Bien sûr, je ne veux pas édulcorer la réalité : il y a des tensions avec les habitants des Saintes, car un tel afflux de personnes dans un petit village camarguais peut poser problème (branchements illégaux à l’eau ou à l’électricité, occupations sauvages, etc). Mais cela fait aussi partie des attraits culturels et touristiques de ce village hors normes : celui d’être le point de rassemblement de cette communauté riche et diverse qui étend ses ailes sur tout le continent. La ferveur exprimée lors du pèlerinage est profondément touchante. Sainte Sara est recouverte de vêtements luxueux, mille offrandes et ex-votos sont déposés à ses pieds, la crypte dans laquelle elle repose s’emplit de milliers de lumignons, créant une vague de chaleur presque inquiétante sous la pierre sombre. Sara est portée en procession solennelle jusqu’à la mer, chacun se précipite pour la toucher, et les enfants sont souvent portés à ses pieds. On formule des vœux de guérison, et des demandes de protection au beau visage d’ébène.
Le pèlerinage des Provençaux honorant les Saintes Maries
Au début du pèlerinage, les châsses contenant les reliques des Saintes Maries dissimulées dans la chapelle haute, au sommet de la haute, sont lentement descendues sur toute la hauteur de la nef. Au fur et à mesure, des bouquets de fleurs apportés par les fidèles sont noués aux cordages. Le mécanisme est vieux de plusieurs siècles. C’est toujours un moment d’émotion poignante de voir les fidèles, un cierge à la main, tendre leurs bras vers la châsse qui descend en entonnant le cantique :
« Ô Saintes de Provence
Nous Vous tendons les bras,
Venez, Votre présence
Nous console ici-bas,
Nous console ici-bas. »
J’ai trouvé sur le net une vidéo filmant cette descente des châsses, si vous voulez entendre le chant.
Les châsses seront exposées pendant deux jours, et nombreux sont ceux qui viennent se recueillir, toucher le bois pour ressentir la proximité des Saintes, prier les saintes patronnes de Provence.
La barque de bois représentant les Saintes Maries sera portée à la mer en procession solennelle, afin de commémorer leur arrivée miraculeuse. C’est toujours un moment d’une grande beauté visuelle, avec toutes les confréries de Provence et de Camargue, la Nacioun Gardiano (nation gardiane) en selle sur leurs chevaux blancs brandissant le trident et l’emblématique croix de Camargue.
Cette croix, dessinée au début du XXe siècle par l’artiste Hermann Paul à la demande du marquis de Baroncelli, est devenue le symbole du pays. Elle a une double signification religieuse et culturelle : elle réunit les trois vertus théologales, la foi (représentée par la croix), l’espérance (représentée par l’ancre) et l’amour (représenté par le cœur). Les bords de la croix ont la forme du trident des gardians, et l’ancre rappelle les barques du pêcheur : elle incarne la Camargue toute entière.
La remontée des châsses est elle aussi un moment de grande émotion signifiant la fin du pèlerinage. De nouveau, la foule brandissant des cierges allumés loue les Saintes de Provence, chantant cette fois “merci, votre présence nous console ici bas”. J’ai souvent vu des larmes couler sur les joues des fidèles lors de ce moment d’adieu aux dames de la mer à qui on confie toutes ses peines et ses espérances.
Les Saintes Maries de la mer : mon église
J’ai un attachement très profond aux Saintes Maries et à l’église Notre Dame de la Mer. C’est dans cette église, lors d’un pèlerinage, que j’ai pris la décision d’embrasser la foi catholique, et de demander à recevoir le baptême. J’ai été baptisée à la veillée pascale 2019 dans l’église des Saintes, et j’y ai fait ma première communion à la Pentecôte, embrassant à la fois l’espérance spirituelle chrétienne, et les traditions provençales que j’aime tant. Mon attachement à cette église est à la fois mystique et culturel : elle à la fois un patrimoine provençal inestimable, et fut pour moi véritablement la « porte de la foi ». Je garderai toute ma vie le souvenir de cette nuit pascale, où nous sommes entrés dans l’église plongée dans les ténèbres, avons allumé nos cierges au feu nouveau, et où j’ai reçu la grâce d'”un coeur nouveau” avec l’eau baptismale sur mon front, et suis entrée avec joie dans la famille millénaire de L’Église.
Je ne parle pas souvent de religion sur Itinera Magica, mais j’avais envie de partager avec vous mon lien très fort avec ce lieu qui a eu et continue d’avoir un rôle crucial dans ma vie.
De plus, moi qui suis profondément Provençale, j’ai le sentiment de mettre mes pas dans des siècles de tradition lumineuse, de m’inscrire dans une chaîne qui a pris sa source sous les feuillages de l’abbaye de St Honorat, sur les îles de Lérins, ou au coeur du cloître St Trophime d’Arles. Cela m’émeut.
Pour ceux qui seraient curieux et intéressés, et souhaiteraient suivre mon itinéraire spirituel, sachez que je tiens un 2e compte Instagram en dehors de mon compte principal et professionnel (@itineramagica) : ce petit compte s’appelle @itineraluminosa et j’y partage des pensées plus personnelles, dans le sens d’un cheminement chrétien. Chrétiens, musulmans, juifs, agnostiques, athées ou adeptes d’une autre spiritualité, vous êtes les bienvenus à m’y retrouver si le cœur vous en dit.
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le 19 octobre, 2019 à 14 h 26 min a dit :
Superbe reportage ! Je suis pourtant totalement agnostique ! Je ne vous connais pas personnellement mais vous êtes sans aucun doute une belle âme, une âme forte !! Merci de nous faire partager votre bonheur
le 20 octobre, 2019 à 10 h 36 min a dit :
je n’ai jamais entendu parler de cet événement, ni de ce coin de Provence d’ailleurs, mais visiblement il vaut le détour! De toute façon, la Camargue est un endroit où je voudrais vraiment aller prochainement: ses paysages, ses chevaux… me font rêver!
le 22 octobre, 2019 à 3 h 14 min a dit :
De voir la Camargue de cette façon, je suis éblouie! Je ne suis pas croyante mais j’admire ceux qui le sont et qui l’affichent de si belle façon surtout à notre époque. Tu es très inspirante, ton article est inspirant!
le 26 décembre, 2019 à 23 h 45 min a dit :
Ton blog est une petite merveille. Je n’ai pas encore l’occasion de voyager souvent mais toutes ces photos, expériences richement illustrées sont comme autant de portes ouvertes sur la diversité de nos régions et du monde. Je voyage certes passivement mais je voyage. J’ai quand même découvert la Provence cet été, ses montagnes, ses cigales, sa lumière, sa bonne humeur, son bleu irréel et je dois dire que je n’ai qu’une envie c’est d’y retourner (surtout Aix).
le 27 décembre, 2019 à 20 h 24 min a dit :
Merci pour ce commentaire qui me touche profondément. Si jamais tu as envie de poursuivre le voyage provençal avec de nouvelles idées de lieux, d’adresses, d’expériences à vivre, n’hésite pas à m’envoyer un petit message, cela me fera très plaisir d’échanger avec toi !
le 6 janvier, 2020 à 9 h 57 min a dit :
[…] „Zigeunerwallfahrt“ in Saintes Maries de la Mer bei Itinera Magica (auf Französisch, aber mit sehr vielen hervorragenden […]
le 19 mars, 2020 à 20 h 25 min a dit :
[…] braquages, qui choisit de consacrer sa vie à Dieu. J’ai entendu René Luc prêcher un jour dans l’église des Saintes Maries de la Mer, et j’ai été frappée par son aura, par la puissance de foi et d’humanité qui se dégageait […]
le 27 mars, 2020 à 19 h 18 min a dit :
[…] grands pèlerinages multicolores, Arlésiennes, Provençaux, Gitans, gens du voyage, convergeant de toute l’Europe […]
le 11 avril, 2020 à 16 h 24 min a dit :
[…] catéchumène et j’allais être baptisée lors de la veillée pascale (dans l’église des Saintes Maries de la mer). J’ai vécu avec beaucoup d’émotion cette entrée dans la semaine sainte, en sachant que […]
le 12 octobre, 2020 à 10 h 11 min a dit :
[…] par le design minimaliste et de kiffer les façades baroques d’Innsbruck, j’assume d’être catho et d’être dingue de vieilles églises, et j’assume mon côté girly, d’aimer le rose, les […]